Pour être artiste, faut-il être triste?
La mélancolie créatrice.
Les états contemplatifs créateurs.
La catharsis.
Pour créer des choses qui prennent aux tripes, il faut vivre des choses qui prennent aux tripes.
J’ai souvent eu ce débat sur la façon de vivre des gens créatifs. Il y a tout un mouvement d’artistes heureux ces derniers temps, qui mangent bien, dorment bien, se lèvent aux aurores pour méditer, écrire, bouger. On n’attend plus l’apparition miraculeuse de la muse, on travaille sa créativité comme on travaille un muscle, l’inspiration se pratique et se provoque. On fait tous les efforts du monde pour ne pas se retrouver face à une page blanche. Ainsi on donne aux habitudes et au cerveau le dessus sur les éventuelles émotions inhibitrices – et on vit dans une positivité motrice.
Et étrangement je ne peux pas m’empêcher de penser à nos grands auteurs, génies, musiciens, peintres… et à leur styles de vie. À leur « mal d’exister », à leur Spleen Baudelairien, et au fait que l’art est la seule alternative à la dépression, et le seul moyen de vivre sa vie. À leur total manque de discipline, à leur abandon total dans une vie de passion explosive. Si l’art qui nous faisait vibrer était de source nécessaire? Alors le contraire de la positivité motrice c’est la négativité catalytique? Alors être un génie ce serait renoncer au bonheur au nom de l’art? ça donnerait presque envie de s’abandonner à la mélancolie sans essayer d’en sortir, pour protéger son inspiration.
J’ai vu une phrase dans une entrevue de Fabrice Luchini – qui dit que la beauté des grands auteurs c’est de nous renseigner sur nous mêmes. Réussir à capturer et retranscrire les émotions du coeur.
Finalement c’est très simple: ça vous ai déjà arrivé de DEVOIR écrire pour aller mieux? extérioriser? alors on commence un journal. Et l’instant d’après – on va mieux, alors on arrête d’écrire.
Si l’art en tant que catharsis est celui qui nous touche le plus, c’est peut-être parce que le bonheur se partage tandis que le malheur se vit seul. On a besoin de réconfort dans le malheur, de savoir que quelqu’un quelque part se sent seul en même temps que nous. Partager de la peine est presque aussi jubilatoire que de partager de la joie. C’est moins simple alors ça prend tout de suite de grandes dimensions.
En me promenant dans un musée l’autre jour – je me suis retrouvée confrontée à trois types d’oeuvres (bien sûr ce ne sont là que mes interprétations):
Un tableau de RICHTER – absolue explosion de vie – chaos total organisé. La première chose qui m’est venue en tête c’est « mais pour peindre comme ça il faut vivre comme ça! Il faut tout faire à 250% sans jamais se poser de questions – se ramasser – s’élever – tomber – recommencer chaque fois avec la naïveté de la première fois. L’inspiration violente.
Un tableau de Monet – La mélancolie silencieuse – comme si je savais qu’il était dans un état calme et méditatif devant sa palette de pastels. Contempler apaise. L’inspiration douce.
Enfin une nature morte dont je ne me rappelle pas l’auteur (c’est dire). Je suis restée un moment dans l’observation, je trouvais le sujet classique mais la technique « parfaite ». Alors je me suis dis « tiens, je ressens rien…mais j’admire le travail et la technique ». Est-ce que la perfection d’une technique au service de l’esthétique, on peut appeler ça de l’art?
En bref – la mise en place de tous ces mécanismes visant à nous rendre positivement productifs au quotidien nous éloigne-t-elle de la vérité, au même titre que l’auto-maintient volontaire dans un état nostalgique?
Finalement quand je pense « art » je ne pense pas à une définition mais je pense à des mots: vérité, honnêteté, justesse, vie.
Quels sont les vôtres?